Dans le chapitre final des Onze, Michon fait attester l’existence du portrait collectif des membres du Comité de Salut public par une esquisse à l’huile de Géricault représentant la scène de la commande du tableau au peintre Corentin, en 1794, dans une église reconvertie par les révolutionnaires en écurie. Cette esquisse aurait à son tour inspiré à Michelet ‘les douze pages définitives qui traitent des Onze’ et figureraient dans son Histoire de la révolution française (Livre XVI, ch. 3). Selon le narrateur, ces pages montrent que dans ses souvenirs ‘embrumés’ Michelet aurait confondu les deux tableaux, transposant la scène de la commande peinte par Géricault dans le tableau de Corentin. Or, tout comme Corentin, le tableau des Onze et le passage que Michelet y aurait consacré, l’esquisse de Géricault a été inventée de toutes pièces.
Que Michelet, le grand historien de la révolution et selon Michon, le plus grand écrivain romantique, apparaisse dans ce récit sur la Terreur n’a pas de quoi surprendre. De même, l’accouplement de son nom à celui de Géricault, Michelet ayant consacré une brève monographie à ce dernier. Texte dont Michon s’est servi pour la clôture de son livre. Dans l’œuvre de Géricault (1791-1824), contemporaine des guerres napoléoniennes, le thème du cheval est central ; dans le dernier chapitre des Onze, les onze têtes des personnages portraiturés se transforment, sous le regard du narrateur, en onze formes semblables à des chevaux, qui font remonter le lecteur à Lascaux, au commencement de l’art.
Comment Michon a-t-il utilisé les exégèses picturales et historiques de Michelet dans son Géricault ? Quelle est la place occupée par Géricault dans l’imbroglio pictural déjà très compliqué des Onze et comment s’inscrit-il dans la dialectique du minuscule et du majuscule? Enfin, que devient dans ce tourbillon vertigineux de textes et de tableaux imaginaires et réels ‘le grand art d’incarnation’ qu’est la peinture pour Michon ?